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Le crowd-logistics, un concept innovant ?

Qu’est-ce que la crowd-logistics ?

Vous n’avez peut-être pas échappé au mot “crowd” ces dernières années. Entre crowdsourcing, crowdfunding, crowd-innovation ou crowd-logistics… il semble que ce mot “crowd” - pour “foule” en anglais - qualifie de plus en plus de concepts.

Certaines entreprises ont très vite compris qu’un ensemble de personnes, même externe à sa structure, pouvait être beaucoup plus efficace qu’une multitude de salariés en interne. Google utilise largement les données des utilisateurs pour améliorer ses produits, une forme de crowdsourcing telle que celle utilisée par Wikipédia par exemple.

De nouveaux concepts d’entreprises ont ainsi émergé, avec un mode d’action reposant sur une externalisation forte des ressources, par le biais de la foule. Soit cette “foule” apporte des ressources exploitables pour l’entreprise - tel que pour Wikipédia - soit elle se constitue elle-même en ressources de l’entreprise, le principe d’uberisation en étant l’exemple le plus connu.

Presque naturellement, la logistique n’a pas échappé à ce principe. On peut segmenter quatre grands types de services dans ce domaine, associés au concept d’utilisation de la foule comme ressource :

Crowd local delivery

c’est un mode de livraison de proximité par la foule. Par exemple, lors d’un achat sur un e-commerce, le colis est acheminé vers un point le plus proche du destinataire. Mais les derniers kilomètres sont assurés par un particulier. Celui-ci profitera de son passage pour déposer le colis à la bonne adresse.

Crowd storage

c’est un mode de stockage dont les espaces utilisés sont ceux de particuliers, qui en quelques sorte les louent à des entreprises de logistique (qui ne sont plus toujours des startup)

Crowd freight shipping

mode de transport assuré par la foule. Dans ce cas là, le colis est transporté du point d’expédition au point de livraison par des particuliers. Plus poussé que le crowd local delivery, ce type de transport peut permettre le plus gros de l’acheminement mais pas forcément les derniers kilomètres (là où le crowd local delivery prendra le relais)

Crowd freight forwarding

mode d’expédition par la foule, qui s'appuie sur la mobilité de particuliers, via leurs voyages aériens, routiers ou maritimes.

Une des ses grandes particularités est qu’elle repose non pas sur des professionnels de la logistique mais sur des amateurs. Par là-même, au lieu d’entrepôts, de camions de transport, de bateaux, ou d’avions, la crowd-logistics utilise des moyens non prévus pour cette activité : véhicule personnel, cave d’immeuble, outillage privé…

La crowd-logistics, un modèle social et environnemental ?

Si ces différents types de services en crowd-logistics correspondent tout simplement aux principales phases de la logistique classique (expédition, transport, stockage, livraison) la façon dont elles mobilisent les ressources est inédite.

Certes, l’utilisation de particuliers pour le transport ou le stockage de colis existait bien avant la mode du “crowd”. Ce principe permettait déjà de rendre accessibles des produits indisponibles dans certaines régions reculées du monde. Mais aujourd’hui, le concept permet de formuler des propositions de valeur inexistantes auparavant, que ce soit aux destinataires des colis ou pour les maillons de la chaîne logistique.

Cela va jusqu’à l’intégration de dimensions sociales (proximité, échange, implication…) ou encore environnementales (économie d’énergie, optimisation des volumes de transport, réduction des consommations…). Toutefois, ces principes seront à relativiser : la crowd-logistics intègre-t-elle réellement et sincèrement des dimensions sociales ou environnementales ? Et si oui, ces axes là sont-ils bien intégrés ou pertinents ?

Sur le plan social, de nombreuses questions sont soulevées. Créé hors cadre entrepreneurial, le principe d’utilisation des foules éclate la structure des règles qui régissent habituellement une entreprise. Aussi imparfait soit-il, ce cadre permet d’avoir un référentiel communément admis par ceux qui y travaillent, sinon du moins partagé. A l’inverse, le simple fait de proposer une rémunération ne suffit pas. S’ils sont supposés constituer des compléments de revenu, les tâches imposées par la crowd-logistics oblige à une mobilisation qui peut être subie, voire un volontariat qui peut s'essouffler. Finalement, la tendance glisse vers le quasi professionnel. Si l’on compare l’idée avec Deliveroo par exemple, on s’aperçoit que les livreurs en font quasiment une profession, bien plus qu’un complément d’activité. Plus encore, les limites seront dépassées par des techniques qui, dans un cadre d’entreprise, seraient logiquement détectées et sanctionnées. Deliveroo s’en est aperçu : les livreurs se sont mis à utiliser deux comptes livreur, via deux téléphones portables, l’un étant caché pendant que l’autre attestait du déplacement du livreur. Ce dernier pouvait alors recevoir directement d’autres commandes avant même que sa course ne soit terminée.

Sauf que ces particuliers ne disposent pas toujours de statuts ou de services adéquats (assurance, couverture sociale, reconnaissance professionnelle, rémunération conventionnée...) Nombreux sont ceux qui dénoncent alors une forme moderne de précarisation - voire d’esclavagisme - d’autant qu’ils sont l’objet d’une forme de promotion marketing arguant l’émancipation ou la réalisation de soi, à travers une activité à forte valeur humaine.

Quant au plan environnemental, la crowd-logistics n’a pas encore fait ses preuves. Par exemple, la crowd local delivery, livraison locale par les particuliers, n’échappe pas à une “demie professionnalisation” qui dès lors ne connaît pas les méthodes spécifiques de la logistique urbaine, notamment l’optimisation des trajets et l’usure des véhicules. Plus encore, les détours faits pour délivrer des colis, qui n’apportent pas une rémunération si valable, incitent les particuliers à rallonger leurs trajets. Hors, dans un environnement urbain, ils peuvent vite augmenter les taux de gaz à effet de serre (mauvais régimes moteurs, circulation difficile plus longue etc).

Les risques du modèle crowd-logistics

Les modèles de crowd-logistics ne sont pas tous voués à la réussite ou alors certains doivent s’adapter pour finalement s’écarter de leur business model. Le modèle économique est d’ailleurs l’un des axes invalidant l’idée qui, si elle est bonne à la base, ne garantit pas la rentabilité à terme. Certains évoluent souvent vers une hybridation avec des modèles traditionnels. L’exemple de Colisweb illustre cette idée. A l’origine, l’entreprise devait mobiliser la foule pour effectuer ses livraisons, mais s’est finalement repositionnée en cherchant des appuis auprès des entreprises locales et des chauffeurs-livreurs indépendants.

Pour en évaluer les risques - et ce que les diverses startup devraient faire avant même de concevoir leur business model - il faut d’abord considérer l’évolution globale de notre société de consommation. La glorification de l’immédiateté, de la proximité ou du choix infini et sans frontière oblige à prendre en compte des paradigmes auxquels il n’est plus possible d’échapper, d’autant plus dans certains domaines (logistique, tourisme, biens de consommation…). Ce n’est donc plus une évolution du monde, de ses moyens techniques et technologiques, mais aussi une évolution de la perception de ce monde. En 15 ou 20 ans, si l’on considère l’écart creusé entre l’univers des commerçants classiques (commerces locaux, supermarchés…) et ceux d’Amazon, d’Ebay, de Cdiscount ou de Rakuten (PriceMinister), cet écart devient tout simplement hors de propos, car ces deux univers deviennent incomparables. D’ailleurs, Amazon, n’a-t-il pas intégré son propre système de gestion logistique, au point d’en faire un service à part entière ? La société achète désormais ses propres avions et conçoit ses propres services de livraison… par drone.

Une dichotomie apparaît alors entre deux plateaux de la balance : d’une part des géants brisent ou mélange des frontières, s’accaparant des marchés, des moyens, des services… et d’autre part une volonté du local, du tout naturel, du participatif… les deux tiraillant le modèle “crowd” à leur façon et dans une sorte d’image de David contre Goliath, il semble que l’issue ne soit pas si sûre en ce qui concerne le concept de foule.

Le risque du concept de foule repose aussi sur la gestion de la valeur. La cryptomonnaie en est un exemple : tant que des personnes éprouvent un intérêt à l’utiliser, elle garde de la valeur. Mais si un jour plus personne ne l’utilise, elle la perd totalement. Lorsque Elon Musk a déclaré éprouver de l'intérêt pour le Bitcoin, le cours de celui-ci à très fortement augmenté. Peu de temps après, lorsqu’il a déclaré s’en détacher, le cours s’est effondré, certes de façon relative, mais très significative tout de même. Donc un système qui externalise les ressources constituant le cœur de sa valeur, prend ainsi le risque de perdre cette valeur, en la rendant volatile et incontrôlée. Si demain une influence déclare que le particulier n’a plus d’intérêt (ou de droit) à répondre à des services logistiques, le concept s’effrite. Ce n’est pas impossible, par exemple si l’Etat encadre ce système de façon contraignante, comme il cherche à le faire avec le dropshipping par exemple. A l’inverse, si un système repose sur une valeur qui lui est propre, quand bien même elle serait contrebalancée par une autre (et voir même, parce que ce contrebalancement existe), elle se permet une existence propre et donc une possibilité d’être pérenne sur un marché. Ainsi, Coca-Cola et Pepsi existent ensemble. C’est aussi le cas des monnaies classiques, mais toutefois il faut relativiser. Nous pensions inébranlable nos systèmes monétaires historiques, hors il semble que la percée des cryptomonnaies nous prouve que, malgré leur fluctuation, nos monnaies habituelles ne sont pas (plus) le seul système possible. Il en est donc ainsi pour de nombreux autres concepts et si des échecs ou des tentatives plus ou moins réussies de “crowd” entreprises nous montre que c’est une fausse bonne idée, certains systèmes, même en logistique, fonctionnent et tout du moins, ouvrent des portes qui bouleversent les concepts pré établis de nos entreprises logistiques classiques.

La crowd-logistics présente tout de même des avantages

Si le modèle de crowd présente des contraintes, il présente aussi des avantages. De tous temps, le concept de partage, de mutualisation ou d’entraide a fait ses preuves, même s’il repose sur des personnes qui “ne sont pas du métier”.

Autrefois la marine, le commerce, la vie urbaine… aujourd’hui la crowd logistics reprend aussi l’idée de recruter des bras pour faire avancer l’entreprise. Déplacer des meubles, trouver des caves et des garages pour stocker des marchandises, mobiliser des véhicules pour les transporter, bref chaque personne devient une force potentielle et participe à la bonne marche de cette entreprise.

Paradoxalement, si le concept de crowd logistics est bouleversé par le paradigme du tout, tout de suite, il permet aussi d’y répondre. Par exemple aux Etats-Unis, la société Deliv mobilise des livreurs indépendants payés à la course, permettant alors aux consommateurs de se faire livrer en moins de 24 heures, notamment depuis des centres commerciaux. En Angleterre, Storenextdoor mise sur le stockage de proximité grâce aux garages et caves inoccupés pour raccourcir les délais de services aux citadins. Il en va de même pour les services de livraison de repas, dont Uber qui doit faire face à de nouveaux entrants.

Le crowd parvient donc à satisfaire des critères parmi les plus importants : la proximité, la rapidité, l'échange social, l'accessibilité, la flexibilité, mais permet également de valider une forme d'économie financière inattendue et novatrice. Notons que certaines entreprises telles que Postmates, une entreprise de livraison entre particuliers ou encore Instacart, start-up de livraison alimentaire à domicile, ont déjà réussi à lever plusieurs centaines de millions de dollars, leur donnant une considération importante sur le marché.

La crowd-logistics, menace pour les acteurs en place?…

Le concept de crowd logistics constitue tout de même une opportunité pour les logisticiens traditionnels, s'ils peuvent et veulent s'ouvrir à de nouveaux concepts. C’est le cas de DHL, qui a ainsi testé en Suède un service de livraison à Stockholm. Intitulé « My ways », il propose à des consommateurs de réceptionner des colis et de les acheminer à d’autres membres inscrits sur l’application mobile, moyennant rémunération. Mais pour les vendeurs et distributeurs, attention aux risques : l’émergence des entreprises de livraison de proximité par la foule, les distributeurs risquent néanmoins de perdre leur lien direct avec les consommateurs, pourtant stratégique. En effet, les clients risquent de s'adresser à leur interlocuteur commercial le plus proche, l'entreprise de livraison, d'autant si elle propose des services avantageux d'accès aux produits

Ajoutons que la crowd logistics bénéficie des technologies et des savoirs-faire numériques : applications mobiles, data, logiciels… dont les particuliers bénéficient en tant qu’utilisateurs finaux. La valeur de ces systèmes dépassent même celle des différents logiciels et méthodes de gestion (ERP, EDI), cette valeur se déplaçant donc - du point de vue de l’utilisateur - du côté traditionnel, qui fait autorité à celui du service innovant qui séduit.

Ces nouvelles formes de logistique, portées par de nouveaux acteurs et opérées par des amateurs, sont-elles de nature à révolutionner le poids des acteurs en place ? Probablement pas ! Une grosse partie de la logistique d’approvisionnement, industrielle et en BtoB échappe aux offres de ces start up et s’appuie sur des prestataires traditionnels, dotés de moyens physiques et informationnels importants.

Leur observation est néanmoins pertinente à plus d’un titre. En effet, ces startups de crowd local delivery captent une part du volume d’activité des entreprises de livraison autrefois dévolu aux prestataires de services logistiques (PSL) traditionnels.

Pour l’ensemble des acteurs concernés, la crowd local delivery constitue surtout un gisement d’opportunités ou, tout du moins, une source d’inspiration. Les prestataires traditionnels pourraient par exemple chercher à intégrer dans leur offre des services de livraison par la foule. Ils le peuvent d’autant plus que ceux qui se positionnent comme des 4PL (organisateur de solutions logistiques pilotant des ressources – flottes, entrepôts, etc. – détenues par d’autres prestataires) ont par définition les compétences nécessaires à l’orchestration des ressources logistiques.

Dans ce cadre, DHL a par exemple brièvement testé un service de ce type en Suède. Les distributeurs considèrent également ces nouvelles modalités de service logistique à la loupe. Leroy Merlin a ainsi testé sur la région lilloise de nombreuses startups spécialisées dans la logistique du dernier kilomètre via des expériences pilotes.

Ce qui est sûr, c’est que le concept de crowd logistics n’a pas fini d’ouvrir des voies d’exploration !

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